3 mai 2024

Précarité en Brabant wallon. Une réalité qui a rassemblé quelque 100 personnes à Genappe.

Pour Écolo Genappe, citoyens, monde associatif et politiques doivent s’emparer de cette réalité. Nous ne pouvons cautionner une société dont les existences indignes s’amplifient, se multiplient. Une société dont les plus précarisés sont en définitive mal traités.

La précarité c’est manquer un peu de tout. Manquer de ressources, manquer de capacités, manquer de liens, manquer de codes. Ces privations correspondent à une forme de misère lancinante, dévorante, inacceptable. Ce trop peu de tout est une atteinte au plus profond de soi. Carrément dégueulasse quand il s’agit des enfants qui ne devraient manquer de rien pour se construire. Alors que la dignité est invoquée comme un grand principe dans nos démocraties, partout, les situations d’indignité se démultiplient.

Et notre société inégalitaire divise, stigmatise et nous éloigne les uns des autres.

En 6 ans, au niveau des CPAS, les RIS ou revenus d’intégration sociale ont augmenté de 30%. N’est-il pas révoltant qu’en Wallonie un enfant sur 4 vit sous le seuil de pauvreté et qu’à Bruxelles ce chiffre est plus grave encore puisque c’est un enfant sur 3 qui connait la précarité dans sa vie quotidienne. N’est-il pas dès lors profondément révoltant que des personnes doivent choisir entre manger, se soigner ou se chauffer ? Pourquoi logement de qualité et alimentation saine ne sont pas accessibles à toutes et tous ? Pourquoi le low-cost serait-il la solution pour les plus précarisés ? Mais qui rêve d’une vie low-cost ?

Patrick Dupriez,  co-président d’Etopia, a animé la soirée

La transition écologique pensée à partir des plus précarisés est une opportunité pour réduire les inégalités sociales.
Créer des communs. Casser des murs. Sublimer la solidarité entre toutes et tous. Détruire tout système qui trie entre les vies qui comptent et celles qui ne compteraient pas.
Nous avons alors un chantier gigantesque, celui de la réduction des inégalités de manière structurelle. En tant qu’écologistes, nous sommes convaincus que les transitions énergétique, environnementale, alimentaire Et sociale se feront en grande partie dès le niveau communal avec l’implication tant des citoyens, des communautés locales que des forces politiques en place. La commune pourrait être profondément pensée comme la première ligne de la transition solidaire.
Les dons, colis alimentaires et aides des bénévoles dans de multiples domaines sont une chose devenue essentielle pour les plus précarisés, une question de survie parfois.

Cette réalité exprime toutefois ses limites, celles de la dépendance à la générosité et à la disponibilité des plus nantis ; celles d’un modèle social qui repose en partie sur le bénévolat. De même les dons suscités par des opérations comme Viva For Life, s’ils sont devenus indispensables pour bons nombre d’associations ils sont inacceptables dans leur essence parce qu’ils impactent le portefeuille des citoyens et compensent les manques de l’état alors que ce sont des mesures structurelles qui doivent être mises en place par celui-ci.

Une soirée d’échanges constructifs avec 6 intervenants pour nous éclairer, nous inspirer en vue d’un mieux-être collectif.

Lors de la soirée du 25 avril 2024, trois acteurs locaux étaient les témoins de différentes réalités de terrain : Guillaume Henin (coordinateur de Soli-Dons), Luc Nachtergaele (président de l’association Saint-Vincent de Paul) et Maelle Dewaele (coordinatrice du récent Relais Social en Brabant wallon).

Guillaume Henin

Quant à Philippe Defeydt (économiste, ancien président du CPAS de Namur et de la fédération des CPAS) ; Jacinthe Mazzocchetti (auteure anthropologue et professeure à l’UCLouvain); Madeleine Guyot (directrice générale de la Ligue des familles), ils.elles nous ont permis de prendre un peu de hauteur.

Cinq besoins essentiels-qui sont également des droits fondamentaux- ont plus particulièrement été explorés : se protéger, se mettre à l’abri, être en sécurité ;se nourrir, manger à sa faim et sainement ; grandir en sécurité ; éduquer, protéger ses enfants dans le respect de leurs droits ; se soigner, prendre soin de soi et de sa famille.

Les intervenants nous ont dressé un état de la situation et des difficultés rencontrées.

Concernant l’accès à l’alimentation le constat est alarmant. A Genappe, 2 associations sont actives : Saint Vincent de Paul qui œuvre depuis des décennies avec de nombreux bénévoles et plus récemment, Soli-dons qui pour Nivelles et Genappe bénéficie de 2 salariés, 2 bénévoles et 4 personnes en réinsertion sociale.

Le nombre de demandes d’aide a quasiment doublé en 3 ans. A titre d’exemple, ce sont à Genappe quelque 300 personnes qui sont bénéficiaires chaque semaine.

Dans ce contexte d’augmentation de la précarité, Guillaume Henin et Luc Nachtergaele soulignent un manque important de moyens en personnel, financier et en projection d’approvisionnement !

Luc Nachtergaele

Toute personne qui travaille dans l’aide alimentaire directe est aussi témoin de la détresse, du découragement et du stress des familles prises dans des globalités complexes, difficilement supportables.

Notons aussi que la qualité des dons alimentaires diminue tant au niveau des particuliers que des dons de la grande distribution…Certaines plateformes en ligne se sont développées pour diminuer le gaspillage (Ex : To good to go) mais cela se fait au détriment de la qualité de l’aide alimentaire.

L’accès au logement n’est pas aisé non plus en Brabant wallon. Via son travail au Relais social du Brabant wallon Maelle Dewaele nous dresse un tableau de la grande précarité. Elle parle de situations de vulnérabilités extrêmes, tant sur le plan économique (l’accès à des revenus dignes), social, que sur le plan de la santé physique et mentale. Il s’agit principalement de personnes sans logement ou de celles qui vivent des conditions de logements insalubres ou inadéquates ; des personnes vivant de la prostitution.  La grande précarité désigne des personnes dont les besoins primaires ne sont pas remplis. Plusieurs sphères de leur vie sont impactées, d’où la nécessité d’avoir une approche en réseau.

Maelle Dewaele

Il s’agit de cibler les personnes qui généralement cumulent plusieurs problématiques (logement, santé mentale, assuétudes, …). Lors du dernier dénombrement (du sans abrisme et de l’absence de chez soi) en Brabant wallon presque 900 personnes ont été comptabilisées sur 9 communes (Genappe ne faisait pas partie des communes ayant donné leur accord contrairement à Tubize, Rebecq, Walhain, Nivelles, Wavre, Grez-Doiceau, Chaumont-Gistoux, Ottignies-LLN) montrant que le phénomène du sans-abrisme et de l’absence de chez soi concernent autant les villes que les communes rurales.  Le dénombrement est un outil permettant d’identifier les besoins du territoire et de mettre en place des actions aféquates. Le premier problème reste l’accès au logement. Sans logement nous ne serons que dans des solutions palliatives. L’accès au logement est donc très compliqué et une fois qu’il est acquis, notons aussi que certaines familles consacrent 50% de leurs revenus au logement, ce qui est disproportionné.

La parentalité est elle aussi mise à mal souligne Madeleine Guyot. Le dernier baromètre des parents de la Ligue des familles montre de manière inquiétante que la pauvreté touche de plus en plus de monde. La parentalité ressemblerait alors de plus en plus à un voyage en apnée où de trop nombreuses difficultés de conciliation des temps et financières jalonnent la vie des parents. Ces difficultés sont encore plus marquées dans le cas de parents à bas revenus ( on parle de 1200 euros/mois) et/ou en situation de monoparentalité.

Madeleine Guyot

La seule augmentation des revenus n’est dès lors nullement la solution unique car l’exclusion sociale est là et bien là. Par exclusion sociale il faut entendre le fait de ne pas participer à, ne pas faire corps avec les autres, avec le collectif, avec la société.

Les actions et discours stigmatisants rendent coupables adultes et enfants de façon humiliante.

Jacinthe Mazzochetti a rappelé la nécessité absolue de lutter contre le mépris social, de tout faire pour qu’il ne s’exprime. Si le mépris social se rajoute à la pauvreté alors le regard que l’on porte sur soi et sur les autres se modifie. Ce mépris social peut être celui de citoyen.n.e.s mais il peut aussi être le fait d’institutions publiques. Les personnes se sentent alors non seulement exclues mais responsables de leur pauvreté et de leur exclusion. Nous sommes toutes et tous concernés, interdépendants. Il faut politiser ces réalités. Sortir de logiques individuelles au profit de logiques inclusives. Chacun.e a besoin de vivre de façon sécurisée sur les plans physique, psychique et social. Notre manière de parler peut refaire fracture, refaire frontière « eux et nous ».

Jacinthe Mazzochetti

Aujourd’hui les personnes vivant dans la culpabilité et la peur de la perte sont de plus en plus nombreuses. Cela entraine de leur part du repli et amplifie dès lors l’exclusion.

La place des CPAS est centrale. Philippe Defeyt explique qu’il faut cesser de se renvoyer la balle. Il faut remettre les CPAS au coeur de la dynamique et agir de manière structurelle.

On sait, rappelle-t-il que si la première mission des CPAS concerne les RIS, ce qui est un droit bétonné en Belgique….L’ensemble des autres aides sociales est cependant trop laissé à la discrétion des CPAS. Et donc il s’agit de diminuer l’autonomie totale des CPAS sur certaines choses. L’accès à toutes les aides sociales ( logement, avances financières, aides psycho-sociales, aide à domicile, aides aux enfants, etc) fait partie de la dignité humaine et familiale.

Philippe Defeyt

Des pistes sont possibles et ce de manière structurelle

  • Revoir les indicateurs officiels de l’EU en matière de précarité pour inclure les personnes qui passent sous les radars ( mal logées, sans papier, les enfants en institution, etc. ). Il s’agit d’avoir des vraies données statistiques pertinentes quant à la précarité.
  • Travailler sur l’accès au logement de qualité, à l’ensemble des types de logement! Les nouvelles formes d’habitation doivent être considérées. S’il manque des « petits logements », il manque aussi la possibilité d’installer des habitats légers mais aussi des habitats groupés ou divisés.
  • Mettre fin au statut de cohabitant.
  • Créer des outils de gestion des surplus de la grande distribution et du gaspillage alimentaire

Thierry Ferracin, co-président

Quelles sont les pistes locales ?

Localement, il s’agit de déployer des services publics accessibles et de qualité. La lutte contre la pauvreté des enfants et des familles est peut-être la mère de toutes les batailles ? Très rapidement les enfants perdent confiance en eux, en l’autre, en l’avenir. La pauvreté chez les enfants affectent tous les pans de leur vie et créée les inégalités. Il s’agit aussi de faciliter les dynamiques de communauté solidaire. Pour Madeleine Guyot, la notion d’« allo parentalité » nous rappelle qu’il faut tout un village pour élever un enfant. L’éducation des enfants et le soutien aux parents nécessitent un réseau de soutien élargi et diversifié au-delà du noyau familial immédiat. Nécessite aussi des services communaux nombreux, accessibles :

  • L’augmentation des places en crèches est une priorité dès le moment où l’on considère la crèche comme premier outil de socialisation et d‘apprentissage.
  • Les lieux de rencontres, d’échanges et de mixité sociale tels que les tiers lieux à destination des parents et de tous doivent être démultipliés.
  • Le droit à une alimentation saine doit être activé:
    • Des cantines gratuites dans les écoles. Nous savons que cela est possible et que de nombreux tests pilotes ont été réalisés dans certaines communes.
    • Un accès plus souple de la part des CPAS pour l’aide alimentaire ( trop de personnes passent « à la trappe »). Les CPAS peuvent freiner l’accès à l’aide alimentaire !
    • L’aide alimentaire devrait être accessible le soir et le samedi.
    • Ne faudrait-il pas un arrêté communal pour mettre fin au gaspillage ?
    • Créer des potagers publics qui soient encadrés et que les personnes puissent s’approprier vraiment ces bouts de terre à cultiver.
  • Les différents services et activités pour enfants doivent être accessibles. Notons aussi l’importance de la gratuité – ou le moindre coût- de toute une série de services communaux comme les activités extrascolaires, les études dirigées, les plaines de vacances, les fournitures scolaires. Cela relève de décisions politiques locales.

La gratuité oui, mais surtout sans la honte. Il n’est plus question de se sentir coupable, responsable…ce qui rajoute de l’indignité à l’indignité. On manque de quoi vivre ce n’est pas pour autant qu’on doit être pointé comme « manquant »…Quelle ingéniosité mettent en œuvre certaines personnes pour y arriver !

Et à Genappe que pouvons-nous envisager à partir de ces constats et recommandations?

Rappelons ce qui existe, et, ce qui doit être réveillé ou optimisé:

  • Des cantines scolaires de qualité ( fournisseur local TCO) mais payantes
  • Des études dirigées payantes
  • Une table ronde de la précarité infantile, mais…arrêtée depuis plusieurs années
  • Des places en crèche mais en nombre insuffisant
  • Une halte accueil pour les familles précarisées mais au profit de seulement 5 enfants
  • L’existence d’une École de Devoirs- lieu par excellence de la lutte contre les inégalités sociales et donc scolaire- qui devrait bénéficier de davantage de soutien en termes de locaux, de ressources humaines et financières afin d’accueillir bien plus qu’une vingtaine d’enfants
  • Un nombre de logements publics très éloigné du quota exigé
  • Un resto social mais, ouvert seulement 2 midis/semaine, uniquement en automne et hiver
  • Un taxi social ( coup de pouce) géré entièrement par des bénévoles
  • Des structures associatives citoyenne et culturelles ( le Monty, le 38, l’AMO) très dynamiques

Soulignons aussi ce qui pourrait/devrait être envisagé :

  • L’affiliation de Genappe au Réseau social du Brabant wallon
  • Une cantine scolaire gratuite
  • Des permanences sociales le soir ou le week end
  • Un guichet pour les familles monoparentales
  • La création d’une nouvelle crèche dans ou à proximité des quartiers les plus précaires
  • Des ateliers informatiques pour diminuer la fracture numérique
  • Des maisons de quartier
  • Veiller au financement et au fonctionnement optimal de l’école de devoirs
  • Des travailleurs/éducateurs.trices de rue
  • Une table de lutte contre la pauvreté infantile
  • Une Maison de repos publique
  • Une réelle politique du logement adéquate et ouverte aussi à l’habitat léger, groupé, etc.
  • La mise à disposition de terres du CPAS pour créer un potager collectif solidaire (en lien avec l’aide alimentaire aussi)

La soirée fut inspirante et nous permettra, à Genappe mais ailleurs aussi je n’en doute pas, à penser nos programmes, nos actions citoyennes et politiques autrement. Faire collectif, faire société, c’est être en lien, repenser notre rapport à l’Autre, nos espaces publics, nos communs. C’est combattre les cloisonnements. Et ce au sein de la commune; premier lieu d’appartenance.

 

Anne Beghin
Co-présidente Écolo Genappe